Le décès de Ngũgĩ wa Thiong’o en mai 2025 a marqué la disparition d’une des voix les plus marquantes du continent africain, un auteur qui a redéfini le lien entre littérature et identité. Né en 1938 au Kenya sous domination britannique, il a traversé les décennies de colonisation et d’indépendance, passant de l’écriture en anglais (Weep Not, Child (Ne pleure pas, enfant), A Grain of Wheat (Un grain de blé)) à un tournant décisif : celui d’abandonner l’anglais pour le gikuyu, sa langue maternelle. Ce geste audacieux, loin d’un simple choix stylistique, constituait un acte de résistance face à l’hégémonie coloniale.
Pour Ngũgĩ, la langue incarnait bien plus qu’un outil de communication : elle portait la mémoire et la conscience d’un peuple. Dans Decolonising the Mind (Décoloniser l’esprit, 1986), il écrivait : « La domination de la langue d’un peuple par celle des nations colonisatrices est essentielle à la domination de son univers mental. » En 1977, il fut emprisonné un an après avoir écrit en gikuyu la pièce I Will Marry When I Want (Je me marierai quand je voudrai), critique des inégalités sociales. C’est en détention qu’il rédigea, sur du papier hygiénique, Devil on the Cross (Le Diable sur la croix), premier roman moderne en gikuyu. Exilé en 1982, il poursuivit son combat intellectuel aux États-Unis avant de revenir au Kenya en 2004.
Au fil de sa carrière, Ngũgĩ a publié plus de 25 ouvrages — romans, pièces, essais, mémoires — parmi lesquels Petals of Blood (Pétales de sang), Matigari (Matigari), Wizard of the Crow (Le Sorcier du corbeau) et Dreams in a Time of War (Rêves en temps de guerre). Malgré l’absence de Nobel, il revendiquait « le Nobel du cœur », celui que lui offraient ses lecteurs. Décédé à 87 ans, Ngũgĩ laisse une œuvre qui dépasse les frontières et rappelle que la liberté culturelle commence par la langue que l’on choisit d’écrire.



