« Les lumières sont éteintes, les étagères sont en désordre et la poussière a recouvert chaque livre » déclare Zabihullah Ehsas, décrivant la situation actuelle de Khushal Baba Ketabtun, une bibliothèque qu’il a aidé à créer en 2012. Il tentait ainsi de répondre à la pénurie de livres en pachto à Mazar-i-Sharif, le centre culturel et économique du nord de l’Afghanistan.
Financée par l’Institut Goethe, et dotée d’une collection d’environ 4000 volumes en pachto, l’une des deux langues officielles en Afghanistan, la bibliothèque s’est rapidement transformée en un lieu de rencontre pour les intellectuels de la ville, nourrissant et accueillant toute une série de programmes littéraires – dont des critiques littéraires, des récitations et compétitions de poésies, des critiques de livres, des conférenciers et des anniversaires d’auteurs de renom.
Mr. Ehsas explique que « cela fait sept mois que personne n’est venu flâner dans la bibliothèque. »
La prise du pouvoir par les talibans en août dernier a frappé de plein fouet la culture de la lecture en Afghanistan, ainsi que l’industrie du livre. Des bibliothèques telles que Khushal Baba Ketabtun, avec son environnement particulièrement florissant et engagé, se sont tues. Le nombre de librairies diminue rapidement ; les éditeurs et les imprimeries traversent une crise économique profonde, certains établissements ont même déjà fermé.
Les régimes répressifs et le chaos généralisé des 40 dernières années ont réduit à néant les bibliothèques publiques et la culture de la lecture en Afghanistan.
Les communistes ont réprimé les livres religieux et les moudjahidines ont brûlé les livres communistes après avoir renversé le dernier président communiste, Mohammad Najibullah.
Au milieu des années 90, les talibans ont essayé d’effacer encore davantage les éléments culturels du pays. La destruction des statues de Buddha à Bamyan a été l’un des exemples les plus évidents de ce saccage.
Et alors que des progrès étaient enfin en cours, une tournure tragique de l’histoire s’est produite : le 15 août 2021, le gouvernement s’effondre, et le retour des talibans a tout chamboulé, mettant le pays – ainsi que sa culture de la lecture et son marché du livre – à l’arrêt. L’ensemble du marché du livre est au point mort.
Les talibans n’ont pas communiqué sur leur politique en matière de livres, mais le souvenir de ce qui est arrivé aux bibliothèques et à la culture de la lecture dans le milieu des années 90, quand ils sont arrivés au pouvoir, est toujours présent.
Bien que certaines bibliothèques soient encore ouvertes, comme celle de Mazar-i-Sharif, la reprise de la culture de la lecture et de l’industrie du livre semble être un rêve lointain.
Mr. Ehsas parle des livres comme de lumières. Lorsque plus personne ne va à la bibliothèque et n’ouvre des livres, « les lumières s’éteignent. »
L’Afghanistan est dans l’obscurité.