En janvier 1795, à seulement vingt-deux ans, Samuel Taylor Coleridge écrivait à son ami George Dyer qu’il songeait à abandonner l’écriture. Dans cette lettre, aujourd’hui proposée à la vente par le libraire londonien Bernard Quaritch pour 10 000 £, le jeune poète évoque son découragement, ses désillusions amoureuses et une dépendance probable à l’opium. Il confiait vouloir « se retirer dans une inactivité obscure » et renoncer définitivement aux exigences de la création littéraire, malgré l’achèvement de son poème philosophico-politique Religious Musings (Méditations religieuses).
La correspondance laisse entrevoir les blessures d’un esprit marqué par l’échec sentimental auprès de Mary Evans, son amour de jeunesse, et par une mélancolie persistante. Coleridge se montre sévère envers ses premiers textes publiés dans le Morning Chronicle, tout en reconnaissant que quelques-uns « ne sont pas si mauvais que les autres ». Il remercie néanmoins Dyer d’avoir défendu The Fall of Robespierre (La Chute de Robespierre), pièce coécrite avec Robert Southey, née d’un projet utopique de « pantisocratie » en Pennsylvanie, visant à créer une société égalitaire sans propriété privée.
Peu après, Coleridge quitta Cambridge pour s’installer dans le sud-ouest de l’Angleterre, où il rencontra William Wordsworth. Leur collaboration mena à la parution en 1798 de Lyrical Ballads (Ballades lyriques), acte fondateur du romantisme anglais. Coleridge composa alors ses chefs-d’œuvre, The Rime of the Ancient Mariner (La Complainte du vieux marin) et Kubla Khan, ce dernier inspiré par un rêve sous l’effet de l’opium. Le contraste entre cette lettre de renoncement et l’éclat de ses œuvres ultérieures révèle la fragilité mais aussi la persévérance d’un auteur qui, malgré la tentation de l’effacement, devint une figure centrale de la littérature du XIXᵉ siècle.



