Longtemps associée à l’enfance et au divertissement populaire, la bande dessinée s’est hissée au rang de marché structuré, à l’échelle mondiale. Aux États-Unis notamment, les librairies spécialisées et les salons attirent chaque année collectionneurs, marchands et investisseurs. Ce phénomène s’appuie sur une évolution significative : des fascicules autrefois lus pour le plaisir sont aujourd’hui vendus aux enchères pour des millions, inscrivant la bande dessinée dans une économie culturelle comparable à celle de l’art ou des antiquités.
Le tournant décisif s’est opéré avec l’émergence des agences de certification telles que CGC (Certified Guaranty Company, ou Société de Garantie Certifiée), fondée en 2000. Ces institutions ont instauré une échelle de notation rigoureuse, allant de 0.5 pour un exemplaire fortement détérioré à 10.0 pour une copie parfaite. Ce système a transformé un objet affectif en valeur économique mesurable. Ainsi, un exemplaire noté 5.0 de Detective Comics No. 27 (1939), première apparition de Batman, s’est vendu 482 000 dollars en 2018 avant d’atteindre 1,125 million en 2021. Quant à Superman No. 1 (1939), noté 8.0, il a battu tous les records avec une vente à 5,3 millions de dollars en 2022.
La notation a même généré un langage visuel codé, à travers les couleurs des boîtiers protecteurs : bleu pour les éditions standards, jaune pour les exemplaires signés, vert pour les éléments manquants, violet pour les numéros restaurés. Ce système, aussi discret qu’essentiel, influence directement la valeur d’un ouvrage. Les profils de collectionneurs varient : certains privilégient les premières éditions, d’autres les premières apparitions de personnages emblématiques comme Spider-Man ou Mickey. À cela s’ajoute une frange croissante d’investisseurs, pour qui chaque exemplaire devient un actif spéculatif. En somme, la bande dessinée contemporaine navigue entre mémoire affective, passion de lecture et placement financier, réunissant des univers que tout semblait opposer.



