Dans l’histoire de la littérature anglaise, Charles Dickens et Jane Austen dominent l’imaginaire collectif, tandis que George Eliot – nom de plume de Mary Ann Evans – reste trop souvent reléguée à l’arrière-plan. En adoptant un pseudonyme masculin pour déjouer les préjugés victoriens, elle gagna la liberté de publier, mais au prix d’une reconnaissance longtemps incomplète. Son œuvre, pourtant centrale au XIXᵉ siècle, demeure sous-estimée dans la mémoire littéraire.
Ses romans, de Middlemarch (Au cœur de la vie anglaise) à The Mill on the Floss (Le Moulin sur la Floss), sondent la psyché humaine et recomposent avec une précision rare les dynamiques sociales et politiques de son époque. Son style associe narration romanesque, réflexion philosophique et interrogation morale, conférant à ses textes une densité intellectuelle qui les distingue. Cependant, cette profondeur même a souvent freiné leur diffusion auprès d’un large public, davantage séduit par le pathos dramatique de Dickens ou les intrigues sentimentales d’Austen.
Si Eliot n’a pas encore obtenu la place qu’elle mérite, c’est en partie parce que sa réception critique fut longtemps enfermée dans des catégories genrées, qui opposaient la prétendue “universality” (universalité) masculine aux voix féminines réduites à la “women’s literature” (littérature de femmes). Pourtant, son influence est immense : Virginia Woolf la considérait comme “the greatest English novelist” (la plus grande romancière anglaise), et son héritage se lit jusque dans la modernité du roman psychologique. Redécouvrir Eliot aujourd’hui, c’est reconnaître qu’elle appartient de plein droit au panthéon littéraire, aux côtés de Dickens et d’Austen, non comme une exception féminine, mais comme l’une des architectes du roman moderne.



