Depuis la mort de Gabriel García Márquez, la question persiste : le réalisme magique lui a-t-il survécu ? Dès 1982, année où Márquez reçoit le Nobel, Isabel Allende publie La Maison aux esprits et devient une figure parallèle, sans jamais l’imiter. Son univers romanesque ne reproduit pas les codes du maître colombien mais les transforme : au merveilleux venu du mythe, elle substitue une magie née de la mémoire blessée, du silence des familles, et de l’histoire intime contournant les récits officiels. À travers une voix féminine ancrée dans le Chili post-dictature, elle fait du réalisme magique un langage profondément personnel.
Dans des romans tels que Portrait sépia ou Fille du destin, le surnaturel n’échappe pas au réel, il en devient le miroir discret. La magie n’interrompt pas l’histoire, elle en épouse les contours flous, servant de relais aux traumatismes collectifs et aux héritages affectifs. Cette approche sensible a conquis un lectorat bien au-delà de l’Amérique latine. Mais à mesure que les courants littéraires évoluent, réalisme brut, autofiction, dystopies, la veine du réalisme magique s’est éloignée du centre, reléguée aux marges du paysage éditorial contemporain.
Isabel Allende n’a jamais figé son écriture dans ce registre : dans ses œuvres récentes, elle s’oriente vers la chronique historique et l’introspection. Pourtant, même lorsque la magie s’estompe, demeure cette capacité à faire vibrer l’ordinaire avec justesse. Le réalisme magique n’était pas pour elle un but, mais une porte d’entrée. Ce qu’elle poursuit, c’est un récit habité; là où l’imaginaire creuse plus loin que la mémoire, et où la fiction dit ce que le réel, parfois, ne peut plus exprimer.



